Les fractures de l'os naviculaire constituent un problème fréquent et complexe en médecine équine. Affectant significativement la performance athlétique et le bien-être des chevaux, elles représentent un coût économique important pour les propriétaires et les professionnels. Un diagnostic précis et un traitement adapté sont essentiels pour optimiser le pronostic et permettre un retour à l'activité, souvent sportive, du cheval.
L'os naviculaire, un petit os sésamoïde situé à la face plantaire du pied, joue un rôle crucial dans l'amortissement des chocs et la flexibilité du membre postérieur. Sa position stratégique le soumet à de fortes contraintes mécaniques (flexion, compression, cisaillement) pendant la locomotion, ce qui explique sa prédisposition aux fractures. Comprendre son anatomie et sa biomécanique est fondamental pour interpréter les mécanismes de la fracture et choisir le traitement le plus approprié.
Anatomie et biomécanique de l'os naviculaire

L'os naviculaire, également appelé os naviculaire du pied, est un petit os sésamoïde en forme de bateau situé à la face plantaire de l'articulation interphalangienne distale du cheval. Il est encastré entre le tendon fléchisseur profond des doigts et l'os naviculaire, et est maintenu en place par plusieurs ligaments. Sa fonction principale est d'agir comme un amortisseur, réduisant l'impact des forces de compression lors de l'appui au sol. Il contribue également à la flexibilité de l'articulation du boulet. Les fractures naviculaires surviennent souvent en raison de contraintes excessives, de microtraumatismes répétés, ou de traumatismes directs. La surface dorsale de l'os, étant la plus exposée aux forces de compression, est le site le plus fréquemment touché par les fractures. La surface plantaire subit également des forces de tension importantes, pouvant également conduire à des fractures.
Diagnostic des fractures naviculaires
Un diagnostic précis des fractures naviculaires nécessite une approche combinée, intégrant l'anamnèse, l'examen clinique et diverses techniques d'imagerie. La difficulté réside souvent dans la détection des fractures occultes ou incomplètes.
Anamnèse et examen clinique
L'anamnèse doit être détaillée. Il faut recueillir des informations sur les antécédents du cheval, son âge, sa race, son type de travail (dressage, saut d'obstacles, course, randonnée...), la durée et l’évolution de la boiterie, l'apparition de gonflements ou de chaleur locale. L'examen clinique comprend une évaluation de la démarche (boiterie à l'appui ou au soulèvement du membre), une palpation attentive du pied et du boulet pour identifier toute sensibilité à la pression, un test de flexion du boulet, et une évaluation de l'amplitude des mouvements articulaires. Une boiterie intermittente, plus marquée après un effort ou un repos prolongé, ainsi qu'une sensibilité à la palpation profonde du pied, sont des indices importants.
Imagerie diagnostique
Plusieurs techniques d'imagerie permettent de visualiser l'os naviculaire et de diagnostiquer les fractures. Le choix de la technique dépendra du niveau de suspicion, de la disponibilité des moyens et des coûts.
Radiographie
La radiographie est l'examen initial le plus courant. Plusieurs projections (dorsopalmaire, latérale, obliques) sont nécessaires pour une évaluation complète. Les signes radiographiques de fracture peuvent inclure une ligne de fracture visible, un déplacement des fragments osseux, un élargissement de l'espace articulaire ou une modification de la densité osseuse. Cependant, la radiographie a une sensibilité limitée (environ 60%) et peut manquer les fractures incomplètes ou occultes. Il est estimé qu'au moins 15% des fractures naviculaires sont occultes à la radiographie standard.

Scintigraphie osseuse
La scintigraphie osseuse est une technique plus sensible que la radiographie, détectant les lésions osseuses par leur activité métabolique accrue. Elle est particulièrement utile pour identifier les fractures occultes ou les lésions de stress. L’injection d'un traceur radioactif permet de visualiser les zones d’hyperactivité métabolique, indiquant la présence d’une lésion. Sa sensibilité est supérieure à 80% dans le diagnostic des fractures naviculaires.

Échographie
L'échographie est utile pour l'évaluation des tissus mous environnants (tendons, ligaments), et peut parfois aider à visualiser les fractures, surtout celles sur la surface plantaire. Son utilité dans le diagnostic des fractures osseuses reste cependant limitée comparée à la radiographie ou à la scintigraphie. L'échographie permet également d'évaluer l'état de l'appareil suspenseur du boulet, souvent impliqué dans les pathologies naviculaires.
IRM et TDM (optionnel)
L'IRM et la tomodensitométrie (TDM) offrent une résolution supérieure aux autres techniques d'imagerie, permettant une visualisation très détaillée de l'os naviculaire et des tissus avoisinants. Ces examens sont plus coûteux et moins disponibles, réservés aux cas complexes ou lorsque le diagnostic reste incertain après les examens initiaux.
Diagnostic différentiel
Il est crucial de différencier les fractures naviculaires d'autres affections partageant des signes cliniques similaires, telles que la synovite naviculaire (inflammation de la bourse synoviale), les tendinopathies des fléchisseurs, les affections du cartilage articulaire, ou les problèmes de conformation du membre. Un examen clinique rigoureux et l'utilisation judicieuse des techniques d'imagerie permettent d'établir le diagnostic différentiel et d'orienter le traitement.
Classification des fractures naviculaires
Plusieurs systèmes de classification existent pour les fractures naviculaires, basés sur la localisation de la fracture (dorsale, plantaire, marginale, comminutive), son étendue et le degré de déplacement des fragments osseux. Cette classification a des implications importantes pour le choix du traitement et le pronostic.
- Fractures de la surface dorsale: Fréquentes, souvent liées à des contraintes de compression.
- Fractures de la surface palmaire/plantaire: Moins fréquentes, souvent associées à des contraintes de traction.
- Fractures marginales: Affectent les bords de l'os.
- Fractures comminutives: L'os est fragmenté en plusieurs morceaux.
Des schémas et des illustrations seraient ici très utiles pour visualiser ces différentes classifications.
Implications pronostiques de la classification
La classification de la fracture influence directement le choix du traitement et le pronostic. Une petite fracture non déplacée sur la surface dorsale peut être traitée conservativement avec un bon pronostic, alors qu'une fracture comminutive avec déplacement important sur la surface plantaire nécessite une chirurgie et a un pronostic plus réservé, avec un risque plus élevé de complications à long terme, telles que l'arthrose ou une boiterie chronique. En moyenne, 70% des chevaux atteints de fractures naviculaires récupèrent une fonction satisfaisante après un traitement approprié, mais le taux de succès varie en fonction de la sévérité de la lésion.
Traitement des fractures naviculaires
Le choix du traitement (conservateur ou chirurgical) dépend de nombreux facteurs : la sévérité de la fracture, sa localisation, l’âge du cheval, son niveau d’activité, et les préférences du propriétaire. Il est important de discuter des avantages et des inconvénients de chaque approche avec un vétérinaire spécialisé en chirurgie équine.
Traitements conservateurs
Les traitements conservateurs sont privilégiés pour les fractures mineures, non déplacées, ou pour certains chevaux dont l’âge ou la valeur économique ne justifient pas une intervention chirurgicale. Ils consistent en une combinaison de repos, de médication et d'orthèses.
Repos et diminution de l'activité
Le repos complet est fondamental pour permettre la cicatrisation osseuse. La durée du repos varie de 6 à 12 semaines, voire plus, selon la gravité de la lésion. La reprise progressive de l'activité doit être graduelle et supervisée par le vétérinaire. Une activité trop intense et prématurée peut compromettre la consolidation osseuse et entraîner une rechute.
Médicaments anti-inflammatoires et analgésiques
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), comme le phénylbutazone ou le flunixine méglumine, sont utilisés pour contrôler la douleur et l'inflammation. Les antalgiques peuvent être nécessaires pour soulager la douleur aiguë. Le choix du médicament, de la posologie et de la durée du traitement est déterminé par le vétérinaire, en tenant compte des effets secondaires potentiels.
Orthèses (fer à cheval thérapeutique)
Les fers orthopédiques peuvent être utilisés pour soulager la pression sur l'os naviculaire et réduire les contraintes mécaniques. Il existe différents types de fers thérapeutiques, comme les fers à roulettes, qui réduisent les forces de flexion au niveau du boulet, ou les fers avec des cales, qui modifient la répartition des forces au sol. Le choix du fer dépend de la localisation et de la gravité de la fracture.
Traitements chirurgicaux
La chirurgie est indiquée pour les fractures déplacées, comminutives, ou celles qui ne répondent pas aux traitements conservateurs. Plusieurs techniques chirurgicales sont disponibles.
Ostéosynthèse
L'ostéosynthèse vise à stabiliser les fragments osseux à l'aide de vis, de plaques ou de broches. Cette technique permet de restaurer l'anatomie de l'os et de favoriser une consolidation osseuse solide. Le choix du matériel d'ostéosynthèse et la technique chirurgicale dépendront de la localisation et de la morphologie de la fracture. La durée de la convalescence après une ostéosynthèse est généralement plus longue qu'avec un traitement conservateur.
Arthrodèse
L'arthrodèse (fusion articulaire) est une technique plus radicale, consistant à fusionner les articulations du pied pour limiter les mouvements et favoriser la cicatrisation. Elle est indiquée dans certains cas de fractures complexes ou récidivantes. L'arthrodèse entraîne une certaine rigidité du pied, pouvant affecter la locomotion à long terme. Il s'agit d'une solution de dernier recours.
Excision de l'os naviculaire
L'excision (ablation) de l'os naviculaire est une intervention très rarement utilisée, réservée aux cas extrêmes où les autres options thérapeutiques ont échoué et où la fracture est extensive. Cette technique entraîne des modifications importantes de la biomécanique du pied et a un impact significatif sur la locomotion. Le pronostic fonctionnel après excision est généralement réservé.
Réadaptation
Quelle que soit la méthode de traitement utilisée, une période de rééducation progressive est essentielle. Elle consiste en une reprise graduelle de l’exercice, sous surveillance vétérinaire, afin de favoriser la consolidation osseuse et le retour à l'activité. La kinésithérapie, incluant des exercices de mobilisation passive et active, peut être bénéfique pour accélérer la récupération fonctionnelle. Il faut environ 3 à 6 mois pour une cicatrisation osseuse complète, mais le temps de retour à une activité sportive de haut niveau peut être plus long.
Pronostic et suivi
Le pronostic des fractures naviculaires varie considérablement selon la sévérité de la fracture, le traitement appliqué, et les caractéristiques individuelles du cheval (âge, race, niveau d’activité). Un suivi post-thérapeutique régulier est indispensable pour évaluer l’efficacité du traitement et détecter d’éventuelles complications.
- Facteurs pronostiques favorables: Fractures non déplacées, traitement conservateur efficace, jeune âge, bonne conformation du membre.
- Facteurs pronostiques défavorables: Fractures comminutives déplacées, intervention chirurgicale complexe, âge avancé, conformation prédisposante, activité sportive intense.
Suivi post-thérapeutique
Le suivi comprend des examens cliniques réguliers (évaluation de la démarche, de la sensibilité, de l’amplitude articulaire), des radiographies de contrôle à intervalles réguliers pour surveiller la consolidation osseuse. La scintigraphie osseuse peut être répétée si nécessaire. Il est important de surveiller les signes de complications, tels que les infections, les non-unions osseuses (absence de consolidation), l'arthrose, ou la persistance d'une boiterie. Un traitement adapté doit être mis en place en cas de complications.
Retour à l'activité
Le retour à l'activité, qu'elle soit sportive ou de loisir, doit être progressif et sous surveillance vétérinaire. Le choix du type d’activité et son intensité dépendront de la qualité de la consolidation osseuse, de la tolérance à l’effort, et de l’état clinique global du cheval. Il est important de privilégier une reprise d’activité lente et progressive afin d’éviter les risques de rechute et d'assurer un retour à une fonction complète et durable.